La dernière lampe de Jasper Morrison pour Flos est un exercice de simplicité ; une applique murale au service de l’architecture et de l’espace. Véritable incarnation du concept de « Super Normal » (un thème récurrent dans le travail de Jasper Morrison depuis le début de sa carrière), Oplight évoque une note de musique sur une portée ou, comme le décrit le designer, « la forme la plus évidente et définitive qu’une applique murale pourrait avoir ». Alors qu’Oplight fait ses débuts, profitons de l’occasion pour poser quelques questions à son designer à propos de la lumière, de la conception d’objets de toutes tailles et de la façon dont il crée ses objets « super normaux ».
ROSA BERTOLI : Vos premiers travaux représentaient des objets ordinaires et employaient des matériaux du quotidien assemblés afin de créer des meubles. En décrivant ce processus de design expérimental, vous avez déclaré qu’il reflétait le monde de la production. Qu’avez-vous appris de cette façon de concevoir et comment avez-vous appliqué ces découvertes au cours de votre carrière ?
JASPER MORRISON : Oui, à l’époque, en tant que jeune designer, je n’avais aucun lien avec les modes de production industriels, mais j’étais motivé à l’idée de trouver un système parallèle simulant la production ; j’ai donc recherché des éléments que je pouvais acheter pour les assembler en produits finis. J’ai beaucoup appris sur l’économie de la production et sur la nécessité de réduire la complexité des objets.
ROSA BERTOLI : Comment avez-vous créé le concept de « Super Normal » ? Comment le décririez-vous ?
JASPER MORRISON : Je me suis demandé pourquoi les objets dessinés anonymement étaient souvent mieux que les produits signés par un designer ; j’en suis arrivé à la conclusion que cela avait surement un lien avec le fait de mettre trop d’égo créatif dans un design. J’ai remarqué un tabouret dessiné par Naoto Fukasawa pour Magis au Salon de Milan et il a attiré mon attention. À cette époque, je concevais des couverts pour Muji et je recherchais un design empli de la même discrétion. J’étais en train d’expliquer cela à Okutani san, un employé de Muji, qui s’est exclamé « Ah, Super Normal ! ». Quand je suis retourné à Tokyo, j’ai rencontré Naoto et nous avons abordé l’idée d’une exposition afin d’explorer et d’essayer de définir le concept de « Super Normal ». La première exposition s’est tenue en 2006 au sein de l’Axis Gallery à Tokyo.
ROSA BERTOLI : Où trouvez-vous vos idées pour votre travail ?
JASPER MORRISON : En principe, elles émergent toutes seules. Parfois, c’est plus difficile et le design est généralement moins bon. Nous pourrions dire que moins j’ai à travailler sur le projet, mieux c’est.
ROSA BERTOLI : Lorsque vous concevez un objet, un meuble ou une lampe, comment savez-vous que votre travail est terminé ?
JASPER MORRISON : Je me dis que j’ai fini quand je ne vois plus rien qui me semble anormal ou gênant, quand toutes les proportions sont aussi bonnes que possible et que l’objet donne le sentiment d’être complet.
ROSA BERTOLI : L’équilibre est une question très importante dans le design industriel et domestique. Selon vous, quels éléments concernant l’équilibre sont importants lors de la conception ?
JASPER MORRISON : L’équilibre doit être naturel, les objets ont besoin de toutes sortes d’équilibre : un équilibre expressif, bien sûr, mais aussi l’équilibre entre la visibilité et la discrétion, l’équilibre entre les différents éléments d’un objet, l’équilibre entre une finition (ou des finitions) et l’intégralité de l’objet, l’équilibre entre l’effet atmosphérique d’un objet et l’environnement qui l’entoure ainsi que l’équilibre du coût et de la valeur perçue d’un objet. Il y a surement plus de choses encore devant être équilibrées...
ROSA BERTOLI : Quelle est votre approche de la conception de l’éclairage ?
JASPER MORRISON : Je ne dirais pas que j’ai une approche particulière, du moins rien de bien différent de la façon dont je conçois autre chose. Je suis ouvert aux opportunités, donc lorsqu’on me demande de concevoir une applique murale, je repense à toutes les appliques murales que j’ai vues et à celles qui fonctionnent le mieux, à ce que les nouvelles technologies peuvent apporter au design et aux formes qui seraient les plus appropriées ; c’est comme cela que l’idée générale commence à prendre forme dans mon esprit. Ensuite, il y a beaucoup de travail pour tout dessiner en 3D, trouver la forme du luminaire et comment écarter la lumière du mur.
ROSA BERTOLI : Quelles ont été vos premières expériences en matière de design de luminaires ?
JASPER MORRISON : La première lampe que j’ai essayé de dessiner fut un échec total. J’avais dessiné un cône tronqué qui envoyait la lumière vers une base plus large et j’avais fait découper un côté pour que l’on entrevoie un disque de couleur au niveau de la base sur laquelle la lumière arrivait. Quand je suis allé voir le prototype, il éclairait très bien le disque, mais quasiment aucune lumière n’était émise dans la pièce ! Après cela, ce fut au tour de Glo-Ball, le globe aplati en verre blanc. Je me souviens avoir eu honte de sa nature élémentaire par rapport aux concepts parfaitement développés que j’avais pu voir lors du Salon. Heureusement, lorsque nous avons sorti la version suspendue de Glo-Ball, le modèle a commencé à bien se vendre ; autrement, j’aurais surement abandonné.
ROSA BERTOLI : Votre dernière pièce pour Flos est Oplight, un luminaire mural à éclairage vers le haut. Quelles sont les caractéristiques les plus marquantes de son design ? Et que vouliez-vous atteindre avec le design d’Oplight ?
JASPER MORRISON : La forme de la tête est probablement la caractéristique la plus remarquable. C’est comme un contour encore plus aplati de Glo-ball. J’espère qu’elle ressemble à la forme la plus évidente et définitive qu’une applique puisse avoir. La source lumineuse est constituée d’un panneau de LED recouvert d’un panneau transparent mais strié qui dévie la lumière vers un angle opposé au mur. Nous avons choisi quatre finitions qui s’adaptent à autant d’atmosphères architecturales différentes que possible.
ROSA BERTOLI : Le concept de création d’une atmosphère dans laquelle vos créations peuvent exister a été important tout au long de votre travail de design. Quel est le rôle de la lumière dans la création de l’atmosphère d’un espace ?
JASPER MORRISON : Il est essentiel que toutes les créations contribuent positivement à l’atmosphère de l’espace dans lequel elles se trouvent. Cela semble évident, mais vous seriez surprise de voir combien de produits ont un effet négatif. Que la lumière soit allumée ou éteinte, elle doit sembler naturelle dans le contexte de l’espace dans lequel elle se trouve. La qualité de la lumière est également très importante. Heureusement, l’éclairage dirigé vers le haut est l’une des meilleures applications pour le type de lumière fournie par les LED.
ROSA BERTOLI : Plus précisément, comment imaginez-vous la contribution d’Oplight à l’atmosphère d’un espace ?
JASPER MORRISON : J’aime l’idée que l’on puisse utiliser la petite Oplight dans une vieille maison de campagne et la grande dans un appartement ou une maison à haut plafond, ainsi que dans le couloir d’un bureau. Je pense qu’elle contribuera à l’atmosphère d’un large éventail d’espaces et de situations. J’espère qu’elle s’avérera être « Super Normale » dans le sens où elle créera une bonne atmosphère sans être envahissante ni même perceptible.
ROSA BERTOLI : Vous avez maintenant créé une gamme complète de pièces d’éclairage pour Flos, couvrant différents types d’éclairage. Qu’avez-vous appris jusqu’à présent au cours de ce processus ?
JASPER MORRISON : J’ai appris à quel point la conception de l’éclairage est difficile. Comme la présence physique du design n’est qu’une partie de la qualité d’un produit d’éclairage et que l’autre partie est quelque chose d’intangible et d’assez imprévisible, il est très difficile de se concentrer sur le résultat final, alors qu’en concevant une chaise, la forme est automatiquement liée à la performance du produit.
ROSA BERTOLI : Quel est le prochain éclairage que vous aimeriez expérimenter ?
JASPER MORRISON : Je pense qu’une bonne lampe de table serait la prochaine sur ma liste, ou une lampe de lecture.
Comment distinguez-vous un objet durable d’un objet non durable ? Il n’est pas toujours facile de le dire au premier coup d’œil, surtout lorsqu’il s’agit d’une lampe de taille réduite et aux lignes impeccables.
Oplight montre que des produits technologiquement avancés peuvent être fabriqués dans le respect de l’environnement. Bien que les épaisseurs soient minimes, aucune colle n’a été utilisée pour assembler les différentes pièces. Elles peuvent donc être séparées, remplacées individuellement, et recyclées séparément selon le matériau.
Tout d’abord, la coque est fabriquée en aluminium moulé sous pression, un matériau léger, durable et facile à recycler. La couleur consiste en un revêtement en poudre, qui ne nécessite pas de solvants dans le processus de peinture, car même les méthodes de production sont prises en compte dans l’impact environnemental global.
La source LED d’Oplight est très efficace, c’est-à-dire qu’elle émet une grande quantité de lumière par rapport à l’énergie consommée, avec une durée de vie de plus de 50 000 heures. En cas de dysfonctionnement, ou plus tard lorsque des sources lumineuses plus efficaces seront disponibles, la carte peut être remplacée sans avoir à jeter le reste de la lampe, avec une économie importante en termes de ressources.
Cela est possible parce que la carte LED n’est pas collée au dissipateur thermique comme c’est le cas habituellement, et que son remplacement ne nécessite pas d’équipement sophistiqué. Au contraire, il peut être effectué par un électricien classique sans avoir à apporter la lampe au magasin pour la mettre à niveau.
Le diffuseur, c’est-à-dire le couvercle transparent qui fait également office de lentille, est fabriqué en polycarbonate moulé par injection. Grâce à sa flexibilité, il s’enclenche, de sorte qu’il peut être retiré pour accéder à la source LED et réinstallé sans que son élasticité ne soit compromise. S’il devait se casser, il peut évidemment être recyclé et remplacé.
Pour toutes ces raisons, Oplight est une lampe à l’épreuve du temps, destinée à durer longtemps, et au final, rien n’est gaspillé.